Saint Samson sur Rance (Côtes d'Armor - France)

Nuit courte pour une traversée hachée. Ironie, coup du sort, diablerie, au petit matin, nous débarquons dans la nuit noire sous un crachin gluant. L' aube s'éveillera toute embrumée et le Pont de Normandie y perdra son élégance. Le Mont Saint Michel crèvera les nuages, heureux présage.

En forme d'épilogue, ce poème en rendant à Apollinaire sa paternité et en s'excusant auprès de lui des modifications accomplies :

Dans le brouillard s'en vont un voyageur soigneux
Et son van lentement dans le brouillard d'Écosse
Qui cache les hameaux pauvres et vergogneux

Et s'en allant là-bas le voyageur endosse
Une parka cirée et toute emmouettée
Qui paraît un fantôme sorti des car-ferries

Oh l'automne l'automne a fait mourir l'été
Dans le brouillard s'en vont deux silhouettes grises

Newhaven (Sussex - Angleterre)

Le Sud se fait sentir, prairies et landes ont laissé place aux champs, quelques arpents de vignes, quelques degrés supplémentaires bienvenus, des nuits moins courtes. Les cerisiers se parent de rouge, les coquelicots s'épanouissent, les blés blondissent que survole un rapace, parti au loin maintenant vers une tour à laquelle madame n'arrête pas de monter mais sans voir personne.
Nous longeons de longs murs derrière lesquels se dissimulent des châteaux, nous croisons des Porsche, des Jaguar, des Ferrari, des Rolls en route vers la Riviera anglaise. Certaines s'arrêtent devant les grilles dorées d'un collège huppé, d'autres sur un parking pour assister à un match de polo.
À Newhaven, nichée entre ses falaises, on joue au cricket, sport tout aussi britannique et abscons que le précédent. Mais Newhaven est nettement moins chic que sa voisine Brighton, et traîne sa misère autour de son port et de son centre ville déserté.
Les falaises des Sept Soeurs tracent une ligne d'un blanc éclatant, rongées méticuleusement par le va-et-vient incessant des vagues. Goélands et cormorans y nichent, mais la nourriture facile fournie par les hommes présentent plus d'attrait qu'une pêche aléatoire.
Le ferry nous attend, nous, nous allons l'attendre. Curieux paradoxe des tracasseries administratives.

Great Shefford (20 km à l'ouest de Reading - Berkshire - Angleterre)

L'autoroute égrène ces noms évocateurs aux yeux des amateurs de sport ou de musique anglais : Manchester, Liverpool, Leeds, Silverstone, Rugby, et pour élever le niveau culturel, Stratford upon Avon.
De culture, et d'éducation surtout, Oxford en est certainement un phare. La proximité de Londres lui apporte aussi son flot de touristes avides de selfies, mais heureusement tous les étudiants ne sont pas encore en vacances et apportent leur joie de vivre.
Chaque collège fait montre de grandeur, de magnificence, de renommée. Sans aucun doute, celui de Christ Church rafle tous les prix en ayant donné 13 premiers ministres au Royaume ! Sa célébrité actuelle provient aussi de son réfectoire ayant servi de modèle à un autre réfectoire d'un autre collège où l'on enseignerait la magie, du moins si l'on croit ce que l'on voit dans une série de films tirée d'une série de romans ayant connu un certain succès. Est-ce pour cela que les guides portent chapeau melon et lunettes rondes ?
Un professeur de logique, Charles Dodgson, écrivit pour la fille du doyen quelques fables. Cette enfant se prénommait Alice et le professeur signa l'ouvrage, publié par la suite, Lewis Caroll. Pour lui rendre hommage, une série de vitraux dans le réfectoire est consacrée à Alice et les personnages : lapin, tortue, singe et bien sûr la Reine de coeur. Et demain, 1er juillet, c'est le jour d'Alice, et les librairies font étalage de vieux livres, d'anciennes illustrations à la gloire de cette gamine.
À chaque collège, sa bibliothèque et ses trésors, sa cour carrée et ses logements d'étudiants, ses compétitions sportives qui laissent perplexe quant au sport pratiqué, ses jardins aux pelouses si britanniques, son sens du commerce et ses produits dérivés.
Dans la ville, on pédale beaucoup, à deux roues, à trois roues, à deux sur un tandem, avec ou sans petit moteur électrique, à n'importe quel âge et le piéton doit être attentif.

Kilington (10 km à l'est de Kendal - Cumbria - Angleterre)

Les Borders, les frontières, ont eu une histoire tumultueuse marquée par des siècles de guerre et de pillage. Les abbayes en firent les frais, maintes fois dévastées et rebâties et de nombreux ouvrages militaires, d'aspect singulier et sinistre, jalonnent la ligne. La Tweed roule tout en méandres ses eaux grises, sans les chevrons ou les carreaux du tissu dont elle a donné le nom. Le grès rose des maisons des petites villes, des abbayes reste bien terne ce matin.
Nous quitterons l'Écosse comme nous y étions entrés et comme nous l'avons souvent vue, sous le vent, la pluie, le brouillard.
Il y a presque 2000 ans, Hadrien fit construire un solide mur pour se protéger des incursions des Pictes et des Scots. Cette frontière, aujourd'hui en territoire anglais, dans le Northhumberland, suit scrupuleusement la ligne de crête entre Newcastle et Carlisle. Marguerite Yourcenar fait dire à Hadrien, et par cette journée riante cela n'en prend que plus de saveur :"Tout m'enchanta dans cette terre pluvieuse : les franges de brume au flanc des collines, les lacs voués à des nymphes plus fantasques encore que les nôtres, la race mélancolique aux yeux gris."
Une autoroute pour filer plein sud, les collines du Yorkshire comme horizon, une route entre deux haies hautes comme la voiture dont les rétroviseurs touchent de chaque côté, le doux vallonnement des collines sous une lueur printanière pour notre nuit.

Scott's View (10 km à l'ouest de Melrose - Borders)

La vieille ville était étriquée, sinueuse, sale, mal famée, soumise aux risques d'incendie et d'effondrement. Il fallut construire la nouvelle ville avec axe central, grandes places carrées, rues perpendiculaires et bâtiments conséquents et statuaire nombreux, bien sûr tout cela à la mode géorgienne des XVIII° et XIX° siècles. Pour une de ces statues a même été édifiée au-dessus une tour néo gothique, en l'honneur de Sir Walter Scott. En face, la vieille ville apparaît quelque peu chaotique.
Entre les deux villes, des charretées innombrables ont été jetées pour les relier et la Scottish National Gallery s'y dresse.
Visite très intéressante : musée à taille humaine, chaleur des boiseries et des moquettes, lumière douce et surtout une très belle collection d'où l'on retiendra les maîtres flamands et les impressionnistes français.
À l'extrémité Est se dresse "l'Acropole" édimbourgeois sur son piton volcanique où a été ébauché un début de temple grec, et aussi un monument à la gloire de Nelson, mais pour les Frenchies, on passe. De là la vue embrasse toute la cité, la vieille ville, la neuve, la encore plus neuve, le vieux port, la mer, les collines alentours et au loin les ponts au fond de l'estuaire.
Au vieux port mouille le yacht royal aujourd'hui désarmé et musée. Les anciens docks sont transformés en appartement de luxe, des restaurants ont investi les anciennes échoppes, des eiders rament tranquillement dans les eaux à l'image de la vie du quartier.
Nous quittons cette très belle ville, mais bruyante, encombrée de véhicules, ne laissant guère de repos que nous retrouvons dans les collines des Borders qu'admirait Walter Scott qui y résida, Ivanho...é!!!

Rosewell (Edimbourg)

La pluie a noyé l'estuaire du Firth of Forth et notre île aux oiseaux est gommée dans la grisaille. Au fond de l'estuaire, les trois ponts se concurrencent, les piliers des haubans du plus récent se perdent dans le ciel si bas. Retour à une réalité, météorologique et routière avec la rocade d'Edimbourg, le parking relais et l'attendu bus à impériale.
La ville est volcanique au sens premier du terme. Un ancien volcan culminant à 251 mètres, la chaise d'Arthur, immense parc au sein de la ville, et un non moins ancien, Castle Rock, couvert par le château. De cette histoire géologique mouvementée, il en reste une ville escarpée, et les rues qui sur le plan se croisent ne sont pas forcément au même niveau, et une ville plutôt noire de basalte.
La pluie a poussé beaucoup de monde vers les musées nationaux, gratuits, rémanence de l'état providence d'avant Thatcher. Au National Museum of Scotland, on peut voir beaucoup de choses pour peu qu'il y ait un rapport avec l'Écosse, et le clou est un clone, la célèbre Dolly, maintenant empaillée, premier mammifère cloné, mais aussi une exposition temporaire sur une tombe égyptienne découverte par un ... Écossais.
La foule a envahi l'esplanade du château, cannes à selfie, parapluie du guide brandi au-dessus, groupes de touristes béats, inévitables pipers, tarifs prohibitifs, cars déversant leurs cohortes, pierre encore plus sombre dans l'aplat du ciel.
Au fur et à mesure de la descente de Royal Mile, longue de un mile, la foule se fait moins épaisse, les boutiques plus authentiques, les bâtiments moins grandiloquents. À son extrémité sud, faisant le pendant de son autre bout constitué par le château, le palais royal de Holyrood, non visitable cette semaine pour cause de séjour royal, si, si, mais on ne l'a pas vue. Juste en face le bâtiment très moderne du parlement. La chambre des débats est pleine de lumière, quel symbole, grâce aux larges baies vitrées ouvrant sur la chaise d'Arthur, et surplombant la tête des députés, de solides poutres, tenues par des filins ténus, comme des épées, pointes vers le bas, autre symbole. Il n'en reste pas moins que nous avons pu assister à une séance plénière de ce parlement avec comme seule contrainte une fouille.

Saint Monans (Fife)

Le corps propre, l'esprit léger, l'estomac lesté d'un excellent et copieux Fish and Chips, nous appareillons à bord du May Princess, cap sur l'île de May.
La côte s'éloigne, les habituels goélands suivent le sillage, les cormorans, long cou tiré vers l'horizon, semblent bien pressés en nous doublant insolemment. Bientôt une escadrille de Fous de Bassan au vol fin et expérimenté nous croise, le bec chargé de munitions. Des phoques émergent de leur paresse et des flots pour nous saluer avant l'accostage par une passe étroite négociée avec doigté par le capitaine.
À peine débarqués, il faut se couvrir la tête pour se prémunir des attaques des sternes arctiques, véritables mères poules et harpies défendant leurs petits. Et le ciel n'est que flappement d'ailes agitées frénétiquement, de becs colorés débordant de harengs, de pattes oranges palmées  largement déployées pour l'atterrissage.  Et au sol, sur l'herbe, malgré le sabbat des lapins, sur le bord des falaises, dans un creux de basalte, ils sont partout, plusieurs dizaines de milliers, ces macareux moines, ces puffins comme l'on dit ici.
Le torda est antisocial et aime la tranquillité et n'hésite pas à chasser un intrus. Le guillemot est grégaire, s'agglutinant en grappes blanches et noires bruyantes. Le cormoran est touchant dans ses gestes de tendresse pour ses petits et le fulmar ne bouge pas pour les protéger. Le goéland est agressif dès qu'on approche de ses oisillons et les macareux continuent leur cirque.
Le temps passe vite, la marée n'attend pas, le capitaine a la délicate attention de faire le tour de l'île aux pieds des hautes falaises et guillemots, tordas ou macareux paraissent bien lourds pour l'envol.