Les Cuillin n'auront pas dévoilé leurs têtes et après un petit passage par le garage pour récupérer notre roue, nous voilà partis pour la découverte du reste de l'île en commençant par son centre, Portree. Et pour qu'une histoire soit bonne, il faut un rebondissement qui se traduira par un "raplatissement". Hier le réparateur répara l'irréparable, autrement dit un pneu foutu. L'opération fut plus rapide, bénéfice de la "ville", juste le temps d'admirer les façades colorées de son port, et chaussés d'un pneu neuf et délestés de quelques livres, nous repartons légers et tranquilles.
La côte Est dresse ses falaises de basalte d'où s'abîment des cascades et laisse admirer des îlots sous une lumière étonnante. Juste au-dessus, le Quiraing, dont la figure tutélaire, le " Vieil Homme de Storr", aiguille de basalte d'une cinquantaine de mètres, ne restera pour nous qu'une image de carte postale, les nuages en cachant son existence même. D'autres silhouettes fantasmagoriques semblent émerger de la brume. Des fantômes bien réels hantent les lieux, avec leurs bâtons, leurs capes luisantes et leurs bosses dans le dos; il faut être bien courageux ou tout simplement obstinés pour randonner le nez baissé sous les grains continuels et dans le brouillard !
La côte Ouest, celle au vent, tout aussi basaltique que sa soeur, se perd dans la brume qui s'épaissit au fur et à mesure que le vent mollit, célébrant ainsi dans une franchise parfaite l'étymologie de Skye, l'île des nuages.
Une petite cale où attendent quelques casiers, des huîtriers-pies qui piaillent leur mécontentement d'être dérangés, deux ou trois phoques indolents qui pointent leur museau, une couche de nuages denses et vers cet horizon mal défini, les Hébrides extérieures dont les îles principales de Harris et Lewis demeureront ce que nous avons imaginé depuis les lectures de la trilogie de Peter May.
Milovaig, Île de Skye (Hébrides intérieures)
Torrin - Île de Skye (Hébrides intérieures)
Hier soir nous avons assisté tous les trois (le troisième, c'est Jonathan, un goéland, qui a dû trouver bonne la cantine) au crépuscule et à la plongée du soleil dans la mer en écartant négligemment les midges. Le soleil en est sorti tout mouillé ce matin et les midges beaucoup plus agressifs.
Le festival des lochs continue et les Sables argentés de Morar ont été assez justement nommés. Nous arrivons à Mallaig en même temps que le Jacobite Train, celui d'Harry Potter et nous nous apprêtons pour une courte traversée qui nous emmènera à Skye. Les côtes sont proches sous l'éclaircie et si lointaines sous le grain et nous prenons comme un heureux présage le salut de ce marin statufié.
Quittant vite le flot des touristes, nous nous égarons sur ces petites routes à une seule voie, fréquentées par de jeunes promis. Partis vers un autre bout du monde, longeant les Cuillin Hills, découvrant l'inévitable village perdu, il arriva l'impondérable, l'indésiré, l'involontaire incident. Les routes un peu traîtresses ont eu raison d'un pneu monté sur une roue aux boulons indéboulonnables, et bien entendu dans une zone blanche totalement inaccessible à tous réseaux.
Une automobiliste serviable, un gérant de café dévoué, un service d'assistance efficace, trois petites heures d'attente dans un décor grandiose totalement invisible sous les averses et luisant après sous l'embellie, un troupeau de vaches mené par un taureau sûr de lui-même qui nous enserre et notre bivouac du soir, un peu imposé, se fera au pied des Cuillin rouges face aux Cuillin noires dont nous ne désespèrons pas d'en voir un peu plus.
Roshven (Moidart - Highlands)
Les dieux d'Écosse, du whisky et de la météo nous ont fait un don : pas de pluie de la journée !
La petite route qui borde le Loch Sunart déroule son étroit bitume entre les arbres, les maisons, un château, une distillerie et le rivage et les "passing places" lui font des hernies bien utiles. Puis elle bifurque vers le Nord, quitte la mer pour grimper dans la montagne offrant un tout autre spectacle, celui des landes, des prairies à moutons et des cimes déchiquetées, résultat d'une formidable éruption volcanique. Elle replonge alors vers la mer et alors que l'on se croit isolé de tout, un village avec son école, ses églises, son bar - épicerie - bureau de poste - station-service, son cimetière, son port. Quelques miles supplémentaires à travers la montagne pour gagner le bout de la presqu'île de Ardnamurchan, qui s'enorgueillit d'être le point le plus à l'ouest de l'île de Grande Bretagne, avec son phare, sa corne de brume et son panoramique sur les petites îles des Hébrides intérieures.
Demi-tour obligatoire, on est vraiment au bout, retour sur les vingt-cinq miles de cette route et direction le Loch Shiel, le Loch Moidart, le Loch Ailort, le Loch Eilt. Pas toujours facile de distinguer ce qui est lac, étang, là il y a des nénuphars et mer, ici avec algues et marées.
Pas le temps de s'interroger davantage, un fracas métallique, un épais panache de fumée blanche, une odeur entêtante et il faut embarquer avec Harry Potter et ses confrères direction Poudlard.
Strontian (Highlands)
Kinlochleven, nichée au bout de son loch connut son heure de gloire grâce à l'aluminium. Est-ce pour cette raison que les eaux du Loch Leven sont si grises et qu'une esquisse d'arc-en-ciel s'y perd ? Le pont qui permet maintenant de franchir le loch, qui s'apparente ici à un fjord, aurait donné le coup fatal au village s'il n'était pas dominé par le Ben Nevis, point culminant du Royaume-Uni (4406 pieds, soit un modeste 1344 mètres) qui attire alpinistes et varappeurs.
Une légère accalmie et nous entreprenons immédiatement l'excursion vers le Glen Coe, haut lieu du tourisme écossais. La route est belle, fréquentée, traverse cette large vallée d'où dévalent de nombreuses cascades, surmontée par la silhouette des "Trois Soeurs".
Nous délaisserons Fort William, sa rue aux boutiques de souvenirs où s'agglutinent les touristes déversés par les autocars et cherchant un abri, ses embouteillages et ses parkings qui n'acceptent que les anciennes pièces de une £, et aussi sa majesté Ben Nevis qui ne nous aura même pas montré ses pieds.
Notre salut et notre recherche de calme se feront par un ferry qui nous transborde sur l'autre rive, et après le franchissement du Glen Tarbert, moins grandiose que le Glen Coe mais tellement plus serein, nous atterrissons à Strontian qui a laissé son nom à la postérité, tout au moins chez les géologues et les chimistes. Il ne nous reste plus qu'à prendre thé, scones, en attendant l'heure du whisky, bien à l'abri des deux constantes de la région : la pluie qui ne nous lâche pas et les midges toujours aussi assoiffés de sang frais.
Duror (Highlands)
Ce matin, un pinson est venu partager notre quotidien, miettes du petit déjeuner et gouttes de pluie. Les rives du Loch Creran sont très boisées : chênes tortueux, aulnes voluptueux sous lesquels les bouleaux ont peine à grandir. Plus haut c'est le domaine des résineux, aux épicéas sombres, tachetés du vert tendre de quelques mélèzes.
Quand la route vient flirter avec le rivage, quand la pente devient raide, les arbres abandonnent le terrain. Alors le Loch apparaît dans son écrin brumeux et sur un îlot un château comme sur la toile d'un peintre romantique.
Il est temps de prendre soin du corps et de ses effets et un petit camping à la ferme fera notre bonheur, tenu par un couple "so scottish".
Forts d'un courage retrouvé, nous affrontons les éléments, luttons contre le vent, slalomons entre les crottes de moutons, observons la patience et la gloutonnerie d'un héron, guetterons l'esquisse d'une lueur et la presque naissance d'un arc-en-ciel, instants trop fugaces pour être photographiés. Comment les rhododendrons gardent leur brillance dans la grisaille ambiante ? Les ruisseaux dévalent la montagne en cascadant et se jettent dans le Loch Linnhe dans un joyeux gazouillis. Nous en apprécierons encore plus notre thé et ses scones.
Barcaldine (Highlands)
Après ces petites escapades insulaires, nous reprenons la direction du Nord et longeons le Loch Awe par ces petites routes à une seule voie que nous maîtrisons bien désormais, même quand on croise un semi-remorque. De ci, de là, sur le bord de la route, on peut acheter des oeufs, des gâteaux, du café ou du thé, du fromage, en toute confiance, surtout pour le vendeur qui laisse ici caisse et marchandise.
Au bout du Loch, sous un ciel plombé, les ruines du château de Kilchurn enflamment l'imagination : spectre, guerrier en kilt, Ivanhoé, gentleman farmer, joueur de golfe, qui en franchira la porte ? À quelques miles, sur les bords du Loch Etive, un fumoir semble nous attendre et nous nous attablerons très volontiers pour déguster un gratin de pommes de terre au saumon fumé et garnirons notre garde-manger de pâté de saumon fumé et de maquereaux fumés. Petit moment très plaisant surtout quand la météo écossaise nous joue son numéro favori.
Sur les quais d'Oban, on trouve des ferries en partance pour toutes les Hébrides, intérieures et extérieures, des caseyeurs et des langoustiniers, poissons, crustacés et coquillages sous toute leur forme, pas mal de Français, une distillerie et un magasin où vous pouvez acheter votre kilt, votre écharpe, votre casquette, vos chaussettes, votre veste, et bien d'autres choses encore du moment que vous connaissez les couleurs du clan que vous voulez arborer.