Crawton (5 km au sud de Stonehaven - Aberdeenshire)

La pluie et le vent ont repris leur numéro de duettistes, l'une aux claquettes, l'autre aux trompettes. Puis le vent l'a joué solo, remplissant son rôle de chasseur de nuages.
Nous traversons un long espace vide à peine interrompu par une rivière traversée sur un pont, véritable dos d'âne. Il s'arrête dans la riante vallée de la Dee où les bruyères fleurissent et les châteaux s'égaillent. Et il y a celui de Balmoral, mais comme the Queen n'y était pas, nous avons préféré continuer notre route jusqu'à la distillerie royale. Précisons que le droit de visite du château est assez élevé et qu'une cerbère aboie si l'on approche des grilles sans payer. Mais à la distillerie, il y a Gordon, francophile et affable, qui nous offre deux verres pour apprécier le goût de pomme et l'odeur de foin.
Excellent breuvage pour aborder une ascension d'abord dans un mèlezin, puis une pinède où un écureuil roux joue les funambules et enfin la lande et le sommet d'où l'on embrasse tout le domaine royal de Balmoral. Au village voisin, des commerçants affichent ostensiblement leur qualité de fournisseur officiel de la Cour.
Suivant les conseils de notre désormais ami Gordon, nous regagnons la mer que nous avions délaissée depuis trois jours. Les montagnes deviennent collines, les forêts cèdent la place aux champs d'orge, il faut bien fournir les distilleries et nous nous installons à côté d'une HLM. Nous en avons les odeurs, les bruits et la promiscuité : flagrance piquante des fientes, criaillements et pépiements, espèces variées, goélands, fulmars, guillemots, tordas, des nuées inouïes et sortant de leur grotte-coulisse, le pitre, le clown, le macareux. Pas beaucoup d'espace libre dans la falaise et la piscine est pleine avec des phoques qui l'occupent !

Loch Crunachdan (20 km à l'ouest de Newtonmore -Highlands du centre)

Un cou épais que surmonte une petite tête aux arcades maquillées de rouge, en-dessous un corps replet rougeâtre foncé, un chant dysharmonieux, un lagopède d'Écosse, la célèbre goose, se promène dans la bruyère, sûre de son impunité, tout au moins jusqu'à l'ouverture de la chasse. Cette espèce et ses consoeurs, en particulier les coqs de bruyère, lui paient chaque année un lourd tribut.
Les Écossais sont des gens surprenants. À Carrbridge, un vieux pont en arc enjambe la rivière qui s'appelle la Dulnain !  Imaginez Pontoise sur la Seine ! Pour fêter le 300 ème anniversaire de ce pont, le village pavoise et les cottages s'ourlent de bleu sur leurs façades blanches immaculées.
Les Écossais ont élevé aussi très haut l'art bancaire. Est-ce pour cette raison que le moindre parking  (ici on dit car park) dans le Cairngorms National Park est payant? Nous acquittant forcés de cette taxe, nous nous paierons une très agréable promenade autour du Loch an Eilein sous de vigoureux pins, de bouleaux tremblants, parmi les bruyères et les myrtilliers, sur un sentier fréquenté par de jeunes couples goûtant au charme romantique du lieu et au centre du lac, cet îlot avec le prévisible château.
À Newtonmore existe un écomusée, qui lui de façon surprenante est gratuit, où entre autres ont été reconstitués des cottages du début du XVIII ème siècle sous leurs toits de bruyères séchées. Que la vie devait être rude dans cette obscurité renforcée par la fumée de l'âtre ouvert, dans l'humidité et le froid ambiants, et en plus il n'y a pas de réseau ! Mais la pluie fut anecdotique aujourd'hui.

Lochindorb ( 10 km au nord de Grantown on Spey - Highlands du centre)

Un daim est venu ce matin fêter l'entrée dans l'été sous quelques gouttes presque insignifiantes. La côte du Moray Firth s'étire tout en longueur entre plages, golfs, plates-formes pétrolières, petits ports, aujourd'hui de plaisance, autrefois de pêche où les femmes fumaient la morue aux pommes de pin glanées dans les bois voisins.
La Speyside est une région de collines boisées et de vallées verdoyantes au fond desquelles les rivières font le bonheur des pêcheurs. Les villages sont sans prétention et sans grand charme, mais leurs noms sont réputés dans le monde entier, tout au moins par les amateurs : Aberlour, Cardhu, Cragganmore, Glenfiiddish, Glenlivet, et la liste pourrait être bien plus longue. Ces whiskyes s'avereront plus fruités et moins tourbés que ceux d'Islay.
L'esprit ainsi fort acéré, nous nous mettons à la recherche des ancêtres un peu mystérieux des Écossais qui gravaient des pierres de symboles plus ou moins évidents, les Pictes.
Au-dessus de cette verdoyante et riante région, on retrouve ces paysages un peu désolés de landes et de tourbières, parsemés de lochs qui rappellent par moment nos Causses et ses vallonnements infinis. Et nous nous installons au bord du Lochindorb en même temps que les premières gouttes d'une averse orageuse, conséquence de la chaleur toute relative de la journée. Et rien ne semble arrêter un ornithologue guettant sous ces grosses gouttes avec sa lunette des Plongeons arctiques qui viennent s'égarer parfois ici.

Loch Ruthven (15 km au sud de Inverness - Highlands du centre)

La côte Est est beaucoup plus plate que sa collègue de l'ouest, et de larges estuaires creusent de profondes échancrures, rompant ainsi sa rectitude. Dans l'un d'eux, les superstructures de plates-formes pétrolières rappellent une autre richesse de l'Écosse.
Le Great Glen, cette longue faille oblique, coupe les Highlands en deux. Au fond se lovent les longs rubans des lochs aux eaux reflétant le bleu du ciel et le vert des berges arborées. Un de ces lochs connaît une réputation mondiale, le Loch Ness. Autant le dire tout de suite, nous l'avons vu, et si l'on avait insisté, jusqu'à la nausée : en porte-clés, magnets, cartes postales, céramiques, peluches, expositions, croisières, chasseur officiel, tout est bon pour décliner Nessie et parfois de façon humoristique pour nommer une crèche. Ce qui est sûr, c'est que Nessie doit avoir une parenté avec Picsou. Et disons encore que le Loch Ness, on l'a vu, ben on l'a vu quoi.
À Inverness, capitale des Highlands et aussi du pétrole off-shore écossais, ses habitants vont dans des boutiques spécialisées pour des emplettes spécialisées. Dans cette ancienne galerie, Victorian Market, vous pouvez donc vous acheter votre kilt avec tartan, les armes de votre clan, une cornemuse avec toutes les parties, un document officiel prouvant votre appartenance à tel clan, et accessoirement quelques Nessie divers.
Heureusement, les lochs qui surplombent le Loch Ness, et celui qui sera notre domicile de cette nuit abrite quelques couples de Grèbes esclavons, espèce assez rare, qui se dissimulent dans les herbes aquatiques, ont un charme très romantique dans cette belle couleur de crépuscule.

Dornoch (Highlands du Nord)

Une promenade humide dans la forêt calédonienne sous de solides mélèzes et aux promesses de myrtilles et de girolles. Un grondement, la rivière devient torrentueuse. Ils doivent s'amuser les saumons à remonter le courant et à éviter tous les pêcheurs. Une biche qui traverse nonchalamment, une martre qui a l'air tout aussi étonnée que nous de cette rencontre et à la sortie du bois, dans la tourbière ces tâches blanches de lichens. Cela rappelle les forêts de Laponie et d'ailleurs le Nord se fait aussi sentir par ses nuits courtes.
Le pari engagé hier pourrait-il être payant ? Une paire d'heures après avoir touché le rivage, la pluie cesse, les nuages se déchirent, des traînées de bleu apparaissent, une très légère sensation de chaleur!
Il ne nous en faut pas plus pour prendre la direction de la plage, longue, joliment concave, où des goélands chassent l'oursin et les huîtriers-pies les restes. Le petit vent frais décourage les baigneurs mais pas les golfeurs qui jouent, imperturbables, sous la pluie, dans le vent, rappelant ainsi que ce sport est né ici, by Jove.
Dans la cathédrale, des vitraux célèbrent l'âme écossaise et Saint André y trouve naturellement sa place, portant sa croix. Les maisons impeccablement alignées et aux rosiers odorants ont de jolies teintes ocres. Dans un jardin voisin, un indice nous est gentiment offert quant à notre destination prochaine.

Oykel Bridge - 10 km à l'est de Invercassley (Highlands du Nord)

Ullapool connaît l'animation habituelle des ports, et les pêcheurs préparent leurs casiers, et les voitures attendent le ferry pour Lewis, et les badauds du dimanche baguenaudent. On y trouve aussi un lycée -collège, un hôpital, une piscine, des commerces et 1500 habitants. C'est dire l'importance de cette "ville" dans le grand vide alentour.
Alentour, c'est le Coigach et l'Assynt. Pour y pénétrer au coeur, la " Wee Mad Road", la petite route folle. L'entrée se fait comme dans le début d'un western, dans cet espace infini dominé par des montagnes déchiquetées et inquiétantes. Puis elle musarde autour de lochan aux nénuphars en fleurs, grimpe aux pieds des Ben et des Cul (comprendre montagnes qualifiées selon leur altitude), batifole dans des vallées bucoliques, s'encorniche le long d'un fjord où des phoques fêtent le printemps, s'égare dans les landes de bruyères et de tourbe, s'achève à un phare isolé, reprend dans un décor lunaire et s'assagit le long d'un loch où fleurissent les maisons.
La pluie ayant joué sa modeste aujourd'hui avant une franche reprise annoncée, nous bifurquons à droite toute, quittons l'Atlantique pour la Mer du Nord où les précipitations sont moindres et les midges inexistants. Et cette route transversale joue à saute-mouton avec les collines et les vieux ponts. 

Dundonnell (Highlands du Nord)

Le vent s'engouffrait entre les falaises et semblait prisonnier de la nasse des nuages bas, sans qu'il puisse s'en délivrer ou nous en délivrer. Ses hurlements et les bèlements des brebis ont sonné le réveil.
À peine avons-nous pris un peu d'altitude que le brouillard gagna en épaisseur, nous dissimulant tout relief. Il se déchirera quand nous atteindrons la côte ouest de Skye sous une pluie battante et nous disons au revoir aux Cuillin entraperçues.
Le pont permettant de rejoindre Main Island  (comprenez l'île de Grande Bretagne) est en équilibre entre ciel et terre. Quelques miles plus loin, la masse imposante et lugubre du château d'Eilean Donan se dévoile derrière les rideaux ondulants de la pluie.
Regard concentré sur le lumignon rouge de la voiture qui précéde, sur le panneau annonçant la Passing Place la plus proche pour réussir un croisement parfois délicat, acéré et fatigué d'essayer de couper le brouillard, nous franchirons le Col du Bétail  (Bealach na Bà) et replongerons vers le littoral et ses eaux poissonneuses et de pluie.
Paysages de Far West américain, il y a même les poteaux en bois qui supportent des lignes fatiguées, monde minéral et vide, mais pas tant, il y traîne toujours une maison, glen grandiose et dramatique où les forçats du sport que sont les triathlètes achèvent leurs travaux ereintés  et lessivés, forêts sombres de résineux, long loch, ailleurs on dirait fjord, aux eaux exploitées dans des fermes marines.
Une lueur, un soupçon de clarté saluent notre entrée dans les Wester Ross, et la pierre retrouve son éclat naturel, un beau rose franc, avant de retomber dans les grisâtres, raccord avec le ciel qui se déverse à nouveau.