Kilcar (Comté de Donegal)

À Sligo, Yeats est partout, en musée, en statue, en rue, en fondation, en confiserie. Il nous apporte même la chaleur. À Rosses Point, à quelques kilomètres de Sligo, la femme de pêcheur attend éternellement le retour du bateau et sa pêche miraculeuse. En sera-t-il de même pour les surfers qui attendent La Vague, perspective bien hypothétique au vu de la pétole du jour. Pourtant ce sont de hauts lieux pour ces sportifs aux dégaines californiennes à en croire les cartes postales.
Donegal, la ville, se pare de vert et s'anime autour de sa place triangulaire appelé le Diamant, et pousse des Hourah et des Come on MacJason ou O'Brien quand le peloton traverse la ville dans ce mélange de chuintements et de grincements des pédaliers.
Après Killybegs, le port de pêche le plus actif du pays, le paysage s'escarpe brutalement, la route trouve une place timide entre la pente abrupte et la mer, les cottages s'accrochent comme ils peuvent,  les moutons ont leur royaume vert partagé par des murettes qui se perdent là-haut. Le fracas de la mer va nous bercer pour cette nuit couvrant le lancinant martèlement des gouttes de pluie, la chaleur ayant apporté des prémices d'orage.

Lough Gill (suite)

L'informatique a ses raisons que la raison ignore. Voilà la photo de la ferme marine.

Lough Gill (Comté de Sligo)

Les routes irlandaises présentent un avantage énorme : pas de risque d'excès de vitesse, les vitesses maximales autorisées étant bien au-delà des possibilités d'un conducteur lambda, surtout avec volant à gauche. Sinuosité, étroitesse, chaos nombreux, la route reposant sur un sol meuble, la tourbe ! Et ces  limites à 80 km/h, voire 100 km/h prêtent à sourire.
Et heureux d'atteindre les 60 km/h, nous musardons le long de bras de mer exploités par des fermes marines, nous nous perdons dans les paysages désolées des tourbières, nous prenons l'air du large quand nous regagnons l'océan.
À Downpatrick Head, des pêcheurs défient le vertige, mais leurs éventuelles prises sont convoitées par les oiseaux marins. Ceux-ci s'organisent par strates, comme dans les étages d'un hôtel : aux premiers étages, les communs goélands argentés, tout en haut les goélands bruns et entre avec leur tenue de groom, les guillemots.
À l'entrée de la baie de Killala dont l'arrière pays est composé de verts pâturages, la tourbe ayant cédé, un riche monastère s'y était installé, attirant aussitôt la convoitise des Vikings. Les moines, pour protéger leurs richesses et pourquoi pas leur vie aussi, bâtirent ces tours rondes devenues un symbole du pays.
Ce soir, sous un soleil généreux et estival, au bord du Lough Gill que chanta le grand poète irlandais Yeats, au milieu des moutons, nous avons commis un acte, au choix, ironique, scandaleux, bassement matériel, ouranien, très humain ..., nous nous sommes fait griller des côtelettes d'agneau  (et sans menthe !).

Keem - Achill Islande (Comté de Mayo)

Bruine épaisse  ce matin faisant perdre de leur brillance aux verts alentours, et comme un pied de nez, elle se découvre quand on repasse au pied du Croagh Patrick dont la chapelle sommitale brille aux quatre points cardinaux.
Lorsque nous serons de l'autre côté de la baie de Clew, il se dissimulera à nouveau dans la brume.
Un pont tournant  nous permet d'atteindre Achill Island, la plus grande île irlandaise. Nous entrons dans un gaeltacht, zone où le gaélique prédomine, ce qui rend obligatoire toute indication en gaélique et nous plonge parfois dans une certaine perplexité que notre très relative connaissance du breton n'arrive pas à atténuer. La route passe dans les haies d'honneur des rhododendrons avant de toucher le rivage aux falaises abruptes. Puis elle s'en éloigne traversant les tourbières bien exploitées. Des cottages bas et colorés s'échappent des volutes engendrées par la combustion de cette tourbe, emplissant nos narines de son odeur qui s'imprègne fortement dans notre mémoire.
Sur le flanc de la montagne dont le sommet se perd dans les nuages, les ruines du "Deserted Village" s'accrochent comme les vestiges qu'ils sont des désastres de la Grande Famine. On y revient toujours d'une façon ou d'une autre, et les limbes diaphanes de brume en renforcent l'intensité.
Nous arrivons au bout de l'île à Keem dont la richesse provenait de la chasse aux requins pèlerins, espèce inoffensive, mais à l'huile aussi riche que celle des baleines. De pêche, nous ne verrons que celle, très acrobatique, d'un Fou de Bassan et ses plongeons à la hauteur de son nom. Bel endroit pour dormir, le point le plus occidental de l'Irlande.

Vallée perdue 2

La route quitte le rivage et s'enfonce dans une passe étroite envahie par un lac. Elle sinue, s'encaisse, grimpe et descend, se borde de fuschias et de rhododendrons aux belles fleurs violettes, s'encombre de moutons guidés par de fiers béliers cornus, de tas de briquettes de tourbe qui  attendent l'âtre.
Bien équipés, nous commençons d'un pas alerte l'ascension du Croagh Patrick ; l'honnêteté nous oblige à préciser que le pas perdit un peu de sa superbe après le premier raidillon. Quelques hectomètres plus haut, Saint Patrick n'ayant pas daigné nous saluer en enlevant sa casquette de nuages , nous le snoberons en nous arrêtant lorsque la visibilité sera presque nulle. Mais qu'a-t-il fait durant ces quarante jours ? Il a bien pensé à chasser tous les serpents de l'île d'Irlande, mais les nuages et la brume, il y a pensé ? Pourtant le vent, un vent à délainer les moutons, aurait dû l'aider dans cette tâche.
Revenus au niveau de la mer, nous observons un vaisseau statufié transportant de macabres squelettes rappelant la Grande Famine. Ce même cataclysme évoqué dans la vallée traversée ce matin où périrent 600 personnes coincées dans ces montagnes, chassées et repoussées par les propriétaires anglais.

Quand on aime, on ne compte pas et l'on est revenu au bout de cette même vallée perdue où nous avons passé la nuit dernière. Et Saint Patrick voudrait-il se venger de notre manque de dévotion en nous enveloppant dans une grisaille monotone ?

Vallée perdue suite

Toujours ces mystères cybernétiques et une photo oubliée.

La vallée perdue, plage d'argent (15 km au sud de Louisburg - Comté de Mayo)

Nous avons traversé l'Irlande d'Est en Ouest à travers une campagne verdoyante tachée de jaune par les ajoncs et les iris. Au fur et à mesure de notre avancée, les villes se font plus rares, les moutons plus nombreux et les murettes dessinent leurs damiers dans les prairies.
Au loin une montagne comme un terril, cône presque parfait, nous aimante irrémédiablement. Il y a plusieurs siècles, le même phénomène avait agi sur un certain Patrick et il gravit ce sommet, y resta à jeûner une quarantaine de jours et en profita pour faire un tas de choses que l'on célèbre chaque année, fin juillet, par un pèlerinage fort suivi.
Au large de Westport, la baie de Clew est envahie d'îles  (bien sûr, autant que de jours dans l'année), et au-dessus, le Croagh Patrick  (la montagne évoquée auparavant) disparaît dans la brume.
La ville offre moult réconfort, ne serait-ce que par les couleurs chatoyantes de ces façades.
Une petite route étroite  (avantage : rouler à droite ou à gauche sur une telle route n'a guère d'importance au regard de l'étroitesse, hormis un hypothétique véhicule en face qui nécessitera de toute façon une manoeuvre), nous amène au bout d'une petite vallée au bord d'une plage au sable blanc et l'emplacement idéal pour un bivouac.
Une longue promenade sur la plage, dans les dunes, sur un gazon à faire pâlir un golfeur dont les creux sont colonisés par les linaigrettes nous offre des points de vue incroyable sur ces océans de verdure et d'eau avec au sud, comme un rideau pour adoucir l'horizon les Monts du Connemara. Et les moutons sont partout nous tolérant à peine, bèlements et crottes nous accompagnant.
À notre retour, une petite conversation amicale avec d'autres promeneurs et leur nationalité américaine sera comme un clin d'oeil aux noms des lieux qui évoquent les grands espaces de l'ouest de leur pays.

Balbriggan 7

C'est dimanche, autrefois jour de repos obligatoire dans toutes les îles britanniques. Maintenant, centres commerciaux ouverts toute la journée, employés de la voirie au travail mais néanmoins ceux qui ont leur temps libre se précipitent à Malahide, station balnéaire à une quinzaine de kilomètres au nord de Dublin.
Le ciel est bas, le vent frisquet, quelques gouttes vous cinglent le visage. Les risées apportent les effluves des nombreux fish and chip et de la tourbe que l'on brûle pour réchauffer les maisons.  Mais rien n'arrête un Irlandais en short et tee-shirt, tongs aux pieds et lunettes de soleil sur le nez, hormis l'arrêt indispensable au pub pour se jeter une petite Guinness et l'arrêt peu de temps après aux toilettes.
Petite inquiétude ce soir : ça s'active en cuisine autour d'une mixture fluo dont il faut constater la transparence à la lumière et la consistance par un retournement risqué du contenant. Et oui, ce soir pour notre dernière soirée à Balbriggan, il a de la jelly au programme. "La fortune sourit aux audacieux" ; gageons que la bonne fortune aura des reflets dorés et une odeur d'orge bien maltée.